Introduction
Le soin est politique, il ne se réduit pas aux secours nécessaires et vitaux, il est aussi, comme nous le dit Frederic Worms (Soin et politique, PUF,2012) : soutien, travail social, solidarité, souci du monde. Car il s’agit avant tout de remettre le monde à l’endroit, et de le rendre plus juste.
« La liberté ne s'épanouit que dans des espaces où les droits de tous sont garantis, et sont universels. Et ces droits universels, quand ils sont respectés, sont un rempart très efficace contre les violences. En l’absence de droits fondamentaux à la dignité et à l'intégrité, le consentement n'est pas un outil conceptuel suffisant pour définir s'il y a ou non violence. Le consentement d'une personne à renoncer à ses droits, à être tuée, blessée, séquestrée, torturée, humiliée, souillée, esclavagisée, ne saurait être valide. L'érotisation de la haine, de la domination, de la soumission, ne saurait être tolérée. Une société reconnaissant la déclaration universelle des Droits humains se doit de faire le choix politique de ne tolérer aucune violence et de porter secours et assistance à toutes les victimes, de les protéger, les soigner et de leur rendre justice. Pour lutter contre les violences et leur reproduction de proche en proche et de génération en génération, il est temps de garantir l'égalité des droits de tous les
citoyens, mais il est temps aussi que les « blessures psychiques » des victimes de violences et leur réalité neuro-biologique soient enfin reconnues, comprises, prises en charge et traitées. Il est temps de considérer enfin que ces « blessures psychiques » sont des conséquences logiques d'actes intentionnels malveillants perpétrés dans le but de générer le maximum de souffrance chez les victimes, et d’organiser délibérément chez elles un traumatisme qui sera utile à l'agresseur pour s'anesthésier et mettre en place sa domination. Il est temps que les victimes soient enfin réellement secourues, protégées et soutenues. Il est temps d'être solidaires des victimes, de s'indigner de ce qu'elles ont subi et de dénoncer les coupables. Il est temps de leur redonner la dignité et la valeur que leur a déniées l'agresseur. Il est temps de leur rendre justice et de les soigner. »
Muriel Salmona (Le livre noir des violences sexuelles, Dunod, 2013)
Ici sont exposées vingt notions incontournables de la prise en charge des violences sexuelles. Le pdf est téléchargeable en bas de page. Les intervenants dans le cadre du soin des victimes de violences sont l’ensemble des professionnels amenés à accompagner la victime dans son parcours : intervenants des secteurs de la santé, du social, des secteurs associatifs d’aide aux victimes et de lutte contre les violences.
- L’intervenant doit être soutenu par une politique globale de santé publique et d’action sociale qui mette en place un plan de lutte efficace contre les violences, et contre l’impunité des agresseurs, qui s’engage à tout faire pour protéger et accompagner les victimes, pour qu’elles obtiennent justice et réparations, et qu’elles puissent accéder rapidement à des soins sans frais par des professionnels formés dans des centres dédiés sur tout le territoire et les DOM-TOM.
- L’intervenant doit mettre tout en oeuvre pour se former et s’informer, il doit connaître la réalité des violences, de leurs conséquences sur la vie et la santé des victimes, et des mécanismes psychotraumatiques à l’oeuvre, savoir les repérer, les rechercher et les identifier. Il doit être capable de se référer à la loi. Les pouvoirs publics doivent être garants de la mise à disposition de formations et de l’accès à des informations fiables et actualisées.
- L’intervenant doit être engagé dans la lutte contre toutes les violences, contre toutes les discriminations et les inégalités de droits. Il doit se positionner contre le système agresseur quel qu’il soit (en prenant garde de ne pas être contaminé par les idées fausses), contre la loi du silence et pour un monde juste et cohérent.
- L’intervenant garantit que l’espace de prise en charge est accueillant, sécurisant, solidaire, bienveillant, et qu’il respecte tous les droits humains de la victime, particulièrement le droit à la sécurité, à ne pas subir de nouvelles violences, à la santé, à la justice, au respect de sa dignité et de son intégrité, et à la confidentialité.
- L’intervenant doit être le « témoin éclairé » des violences commises à l’encontre de la victime, il doit les rechercher (dépistage universel), en être à l’écoute et en reconnaître la réalité et la gravité en les nommant précisément. Il doit rappeler que rien de ce qu’a fait la victime ne justifie la violence, et en attribuer la responsabilité à celui qui en a fait usage, l’agresseur.
- L’intervenant s’interdit le désaveu et la culpabilisation de la victime, mais aussi la banalisation, la minimisation et la dépénalisation des faits. Il ne se fait pas le relai des stéréotypes et des idées fausses sur les violences, les victimes et les agresseurs. Il n’est pas en position de juger la véracité des faits rapportés par la victime, ni d’enquêter, ce n’est pas son rôle.
- L’intervenant se garde de confondre l’engagement relationnel et émotionnel dans lequel se retrouve piégée la victime de violences avec une co-responsabilité de la victime (la victime peut être piégée par emprise, loyauté obligée, menaces au sein de la famille, du couple, de l’institution, du travail…).
- L’intervenant a un devoir d’information envers la victime sur ses droits, la possibilité de porter plainte, sur les mécanismes de la violence, les connaissances actuelles sur le psychotraumatisme et ses conséquences sur la santé, sur les possibilités de soins et sur toutes les ressources disponibles.
- L’intervenant prend en compte la parole de la victime, ce qu’elle ressent, son expertise concernant sa situation, et tout ce qu’elle a déjà mis en place, tout en lui donnant tous les outils disponibles et dont elle a besoin pour éclairer son jugement et se libérer de l’emprise et de tous les mensonges et des incohérences du système agresseur. Il doit respecter le temps de la victime, et lui apporter soutien, aide dans toutes ses démarches, y compris judiciaires.
- L’intervenant doit pouvoir reconnaître le niveau de souffrance et de détresse de la victime et évaluer le danger et les risques qu’elle court. Il doit prendre garde à ne pas les sous-estimer, ni à considérer que la victime les sur-évalue. Il doit être attentif à ne pas générer de souffrance par des comportements, des propos ou un vocabulaire inadaptés.
- L’intervenant s’assure de la sécurité de la victime, et doit mettre en place tout ce qui est en son pouvoir pour la protéger de nouvelles violences. Il doit être particulièrement attentif à la protection des plus vulnérables (enfants, personnes handicapées, âgées, malades, en situation d’exclusion, femmes enceintes…) qui peuvent nécessiter des signalements aux autorités.
- L’intervenant ne réduit pas la personne à ses troubles des conduites et du comportements, ni à ses symptômes, ni ne considère qu’elle est l’artisan de son propre malheur. Il doit faire toujours l’effort de les comprendre à la lumière des violences subies comme des conséquences traumatiques et des stratégies de survie.
- L’intervenant doit aider la victime à comprendre ses réactions, ses émotions et ses comportements même les plus paradoxaux comme des conséquences normales et universelles des violences et de la volonté destructrice de l’agresseur dues à des mécanismes psychotraumatiques (sidération, dissociation, mémoire traumatique, conduites d’évitement et de contrôle, conduites dissociantes).
- L’intervenant doit aider la victime à repérer et à dénoncer le discours mystificateur et les mises en scène de l’agresseur et de ses complices qui organisent sa culpabilité, sa honte, son humiliation, son indignité et son absence de valeur, de droits et de légitimité, pour l’en décoloniser. De même l’intervenant se garde de toute contamination par ces mêmes discours.
- L’intervenant doit être conscient et tenir compte des troubles de la mémoire, de la confusion et du sentiment d’irréalité dus aux processus dissociatifs induits par le pouvoir sidérant des violences, sur la victime et sur lui-même. Il ne doit pas confondre anesthésie émotionnelle traumatique, amnésie dissociative et absence de souffrance ou indifférence. Le travail thérapeutique consiste justement à sortir la victime de son état de sidération et à désamorcer puis «déminer» la mémoire traumatique des violences.
- L’intervenant doit être également conscient des effets sur la victime de ses stratégies de survie. Ces stratégies qu’elle a dues mettre en place pour éviter les violences et leur ré-actualisation par la mémoire traumatique (conduites d’évitement, contrôle émotionnel, hyper-adaptation, conduites dissociantes), peuvent donner le change et cacher une grande souffrance, ou paraître paradoxales.
- L’intervenant s’assure que son positionnement contre toutes les violences reste toujours cohérent et prend donc en compte la situation des enfants, et de l’entourage de la victime. Il s’interdit toute position de domination, toute discrimination et toute violence (qu’elle soit psychologique, physique ou sexuelles). Et il se positionne contre toutes les violences quel qu’en soit l’auteur (y compris les autres intervenants et la victime elle-même).
- L’intervenant doit travailler en réseau avec tous les autres professionnels concernés, être en capacité de bien orienter la victime, et de s’assurer qu’elle puisse avoir accès à des informations fiables et à des soins spécialisés par des thérapeutes formés.
- L’intervenant doit considérer comme important de donner des explications sur les mécanismes et les conséquences psychotraumatiques des violences, aux proches de la victime susceptibles de lui offrir un soutien, en concertation avec elle et après l’avoir aidée à les identifier et à les solliciter.
- L’intervenant se considère lui-même comme un « sauveteur », et un soutien éclairé et non comme un « sauveur ». De même il n’est pas là pour faire l’éducation de la victime, ni pour lui faire des leçons de morale, ni pour la juger. Il n’hésite pas lui-même à se faire aider quand il est en difficulté.