Violences faites aux femmes
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
« un problème mondial de santé publique d’ampleur épidémique »
par la Dre Muriel Salmona
Voir aussi Séminaire à Sciences Po sur les violences, janvier 2014
1 - GÉNÉRALITÉS
2 - ETAT DES LIEUX DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
3 - CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
4 - CONSÉQUENCES SOCIÉTALES DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
5 - COMMENT COMBATTRE EFFICACEMENT CES VIOLENCES
6 - CONCLUSION
Généralités
Les violences faites aux femmes et aux filles sont avant tout des violences sexistes permises par les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes, dans un contexte historique de discrimination sexiste et de domination masculine.
La Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1993 (1) donne avec l'article premier la définition suivante de la violence à l'égard des femmes et des filles : « tout acte de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. »
Et le féminicide peut être défini comme le meurtre d’une femme ou d’une fille parce qu’elle est de sexe féminin (crimes « d’honneur », violence conjugale, meurtres sexuels, meurtre de femmes prostituées, filles éliminées avant ou après la naissance…).
Ces violences faites aux femmes et aux filles massivement commises par des hommes sont un fléau qui transcende les pays, les ethnies, les cultures, les classes sociales et les classes d'âge. Elles représentent une atteinte grave à leur intégrité physique et psychique, et une violation de leurs droits fondamentaux à la vie, à la sécurité, à une égale protection de la loi, à ne pas subir de discrimination sous aucune forme, à l'égalité et à la dignité, au meilleur état de santé physique et mentale possible, et à ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
D’après le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) cette violation de leurs droits fondamentaux « a pour conséquences de détruire des vies, fracturer des communautés et freiner le développement » et entraîne « une situation effrayante en termes de conséquences sociales et sanitaires ». Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a quant à lui déclaré le 8 mars 2007 : « La violence contre les femmes et les filles demeure inchangée dans tous les continents, tous les pays et toutes les cultures. Le tribut payé par les victimes, leur famille et la société dans son ensemble est accablant. La plupart des sociétés interdisent cette violence, mais en réalité elle est trop souvent passée sous silence ou tacitement tolérée ».
1) Les chiffres noirs
Les chiffres dans le monde sont accablants : selon un rapport de l’OMS(2) en 2013, 35% des femmes ont subi des violences physiques et-ou sexuelles de leur partenaire intime, ou des violences exercées par d'autres que leur partenaire, et parfois jusqu’à 71 % des femmes subissent des violences. Toujours selon ce rapport la plupart de ces violences sont commises dans le cadre de la famille et du couple, presque un tiers de toutes les femmes ayant eu une relation de couple ont subi des violences physiques et/ou sexuelles de leur partenaire intime et 38% du total des meurtres de femmes sont commis par des partenaires intimes.
En France les chiffres sont impressionnants avec en 2012 : 148 femmes décédées sous les coups de leur conjoint, soit une femme tous les deux jours et demi ; dans l’enquête ENVEFF (2000) 10% des femmes déclarent avoir subi des violences conjugales dans l’année qui précède, ce chiffre passant à 25% pour les femmes les plus jeunes (3). Dans l’enquête CSF (2008) plus d’1 femme sur 5 (20,4%), déclare avoir subi au moins une fois dans sa vie une forme de violences sexuelles (attouchements forcés, tentative de rapports forcés, ou rapports forcés) (4). Parmi elles, 6,8% déclarent au moins un rapport sexuel forcé au cours de leur vie (tandis que les hommes sont 6,8 % à déclarer au moins une forme de violences sexuelles au cours de sa vie et 1,6 % au moins un rapport sexuel forcé). Les femmes et les filles sont chaque année 203 000 a subir un viol ou une tentatives de viol (83 000 pour les femmes adultes, 120 000 pour les mineures) !. Pour les chiffres vous pouvez consulter la lettre n°8 de l’observatoire national des violences faites aux femmes de novembre 2013.
Aucune femme, aucune fille dans le monde n'est à l'abri de subir des violences en raison de son sexe. A tout moment de leur vie, dans leur petite enfance, leur enfance, leur adolescence, à l'âge adulte ou pendant leur vieillesse, les femmes peuvent subir de mauvais traitements physiques ou moraux et des violences sexuelles, et vivre dans la peur. L'auteur des violences est dans la plupart des cas un homme, une personne connue de la victime, le plus souvent un proche. Aucun espace de vie des femmes et des filles n'est protégé. Et les espaces habituellement considérés comme les plus protecteurs - la famille, le couple - où amour, soins et sécurité devraient normalement régner, sont ceux où se produisent le plus de violences.
Plus les femmes sont jeunes et/ou en situation de vulnérabilité plus elles subissent de violences : qu’elles soient mineures, femmes handicapées qui subissent quatre fois plus de violences, femmes sans toit, femmes immigrées, réfugiées, racisées, en situations prostitutionnelles, vivant dans des pays en guerre…).
2) L'impact sur la santé des femmes et des filles
Les violences intra-familiales, conjugales et sexuelles que subissent plus spécifiquement les femmes ont de lourdes conséquences sur leur santé et sur celles de leurs enfants qui en sont témoins. Elles sont à l’origine d’une augmentation importante du recours à des consultations médicales, des examens complémentaires, des prises de médicaments, des soins d’urgences, des soins psychiatriques, des hospitalisations et des interventions chirurgicales.
« Il s'agit d'un problème mondial de santé publique, d'ampleur épidémique, qui appelle une action urgente », nous dit la Dre Margaret Chan, directeur général de l’OMS dans le rapport établi en 2013 avec des données recueillies pour 81 pays (2).
Les études internationales(5) et l'Organisation mondiale de la santé en 2010(6) ont démontré et reconnu qu’avoir subi des violences est un des déterminants principaux de la santé : soins en psychiatrie (état de stress post traumatique, troubles anxieux, dépressions, tentatives de suicide, insomnies, phobies, troubles de la mémoire, troubles alimentaires, addictions, etc.), en médecine générale (stress, douleurs et fatigue chroniques, etc.), en cardiologie, en gynéco-obstétrique, en gastroentérologie, en endocrinologie, etc., hospitalisations répétées, multiplication des arrêts de travail, mise en invalidité…
Le rapport de l'OMS de 2013 montre que la violence accroît fortement la vulnérabilité des femmes face à toute une série de problèmes de santé à court et à long terme ; il souligne que « le secteur de la santé doit prendre plus sérieusement en considération la violence à l’encontre des femmes », a déclaré la Dre Claudia Garcia-Moreno de l’OMS. L’étude montre qu’à l’échelle mondiale, 38% des femmes assassinées l’ont été par leur partenaire intime, et 42% des femmes qui ont connu des violences physiques ou sexuelles d’un partenaire ont souffert de blessures. La violence contribue dans une large mesure aux problèmes de santé mentale des femmes comme la dépression, l’alcoolisme. La violence du partenaire et la violence sexuelle exercée par d’autres que le partenaire sont corrélées à un risque plus élevé de contracter des infections sexuellement transmissibles et d’avoir une grossesse non désirée ; le rapport montre que la probabilité de se faire avorter est deux fois plus élevée chez les femmes qui connaissent des violences physiques et/ou des violences de leur partenaire sexuel, et que la probabilité d’avoir un enfant de faible poids de naissance est majorée de 16% chez les femmes qui subissent des violences de leur partenaire.
3) L'absence de prise en charge des femmes et des filles victimes de violences
Pourtant, en 2014, malgré leur fréquence et leur gravité, ces violences faites aux femmes font toujours l'objet au mieux d'une méconnaissance et d'une sous-estimation, au pire d'un déni ou d'une tolérance coupable. Elles font l'objet d'une véritable loi du silence qui leur est imposée avec fréquemment des menaces, des pressions et des manipulations. Cette loi du silence protège les agresseurs en leur assurant l'impunité, et protège également le mythe d’une société patriarcale idéale où les plus forts (les hommes et tout ceux qui détiennent une autorité) protégeraient ceux désignés comme étant les plus faibles ou les plus vulnérables (les femmes et les enfants), créant ainsi de toute pièce une dette leur permettant d’exercer leur domination. Surtout, cette loi du silence abandonne les victimes à leur sort, toutes les victimes. Les femmes et les filles victimes de violences se retrouvent donc seules. Abandonnées, elles ne bénéficient ni de protection, ni de soins spécifiques. Les hommes et les garçons victimes ou témoins de violences sont eux aussi laissés sans soin.
Cet abandon a pour conséquence d'obliger toutes les victimes à survivre seules dans une grande souffrance et une insécurité totale, et à se réparer comme elles peuvent. Et les stratégies de survie qu'elles sont dans l’obligation de développer sont un facteur d'exclusion, de pauvreté, et de vulnérabilité à de nouvelles violences.
Comme je le dénonce dans mon ouvrage Le livre noir des violences sexuelles cet abandon sans protection ni soin de la très grande majorité des victimes de violences est un véritable scandale de santé publique (7). D’autant plus que nous disposons depuis plus de 10 ans de toutes les connaissances nationales et internationales sur la réalité des violences et la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques (8). Ces troubles psychotraumatiques qui peuvent durer des années, des dizaines d'années, voire toute une vie auront un impact considérable sur leur santé, la santé de leurs enfants, leur insertion sociale et professionnelle et leur qualité de vie. Ils représentent également un coût financier important pour les États.
Nous savons que ces conséquences sont très fréquentes et que les atteintes sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels(9) et de la mémoire, visibles sur des IRM. Nous en connaissons depuis plusieurs années les mécanismes psychologiques et neuro-biologiques comme nous le verrons plus précisément.
Nous savons très bien décrire cliniquement ces troubles psychotraumatiques, les diagnostiquer, et nous savons les traiter efficacement (avec une récupération des atteintes neurologiques grâce à la neuroplasticité du cerveau), nous savons aussi qu’avoir subi des violences, particulièrement dans l’enfance, est un des déterminants principaux voire le déterminant principal (quand les violences ont eu lieu dans l’enfance) de l’état de santé des personnes même 50 ans après (Felitti et Anda, 2010) (10).
Et nous savons enfin que laisser des victimes de violences traumatisées sans soin est un facteur de risque de reproduction de violences de proche en proche et de générations en générations, les victimes présentant un risque important de subir à nouveau des violences, et aussi d’en commettre pour un petit nombre d’entre elles (ce qui suffit à alimenter sans fin un cycle des violences), comme je l’explique dans mon article Lutter contre les violences passe par la protection et le soin des victimes(11).
Pourtant, à l’heure actuelle, les médecins et les autres professionnels de la santé ne sont toujours pas formés, ni en formation initiale, ni en formation continue. Lors d’une enquête récente auprès des étudiants en médecine,en 2013 (12), plus de 80 % ont déclaré ne pas avoir reçu de formation sur les violences et 95% ont demandé une formation pour mieux prendre en charge les victimes de violences ; et l’offre de soins adaptés est très rare, et n’est pas répartie sur tout le territoire et les DOM-TOM. Le dépistage systématique et universel par les professionnels de santé, seul garant pour un réel dépistage des victimes de violences, et une véritable prévention primaire, et recommandé par les études internationales, est encore très loin d’être mis en place. Seuls quelques professionnels de santé et quelques services d’obstétrique le font à l’heure actuelle.
Les États ont pourtant l'obligation de protéger les femmes contre la violence et d'assurer soins, justice et réparations aux victimes. Dans son article 6 la Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, CEDAW, invitait en 1979 les États à prendre « toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes » (13). Le Conseil de l'Europe a adopté en 2002 un texte juridique, la recommandation 1582 définissant une approche globale pour mettre fin à la violence envers les femmes (14). En 2005, dans la Déclaration de Varsovie(15), les chefs d'Etats et les chefs de gouvernement du Conseil de l'Europe ont réaffirmé leur engagement à combattre la violence à l'égard des femmes sous toutes ses formes. La Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et de la violence domestique (convention contraignante considérée comme « norme d’excellence » par l’ONU-Femmes à la session de la Commission de la Condition de la Femme tenue à New York, la Dre Chan s'est jointe au Secrétaire général des Nations Unies et aux chefs d’autres entités des Nations Unies pour demander que la « tolérance zéro » s’applique à la violence à l’encontre des femmes (16).
Cependant la violence faite aux femmes reste généralisée et la prise en charge des victimes est notoirement insuffisante dans tous les États du monde. Suivant les Etats, le pourcentage de femmes victimes - nous l'avons vu - peut aller du simple au sextuple. Ces différences sont liées avant tout au degré de violence et de discrimination qui règnent dans chaque État. Le pourcentage de femmes victimes de violences est d'autant plus élevé dans un État que des conflits armés s'y produisent ou s'y sont produits récemment, que le taux de criminalité y est élevé, et que les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes y sont importantes.
En 2014 l'ignorance des véritables causes de la violence, de ses effets et des mécanismes de sa reproduction sont donc dues avant tout à la méconnaissance de la réalité de la violence faite aux femmes et aux filles, de ses conséquences à long terme sur leur santé, l'insuffisance des moyens mis en œuvre pour lutter contre elle, et l'absence de prise en charge des victimes. Cet état de fait est de plus aggravé par les fausses représentations sur les violences et les stéréotypes sexistes. Ils font de la violence une fatalité, de l'homme un prédateur et de la femme un objet de consommation et d'instrumentalisation. Aussi pour les États et tous acteurs engagés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, connaître leur réalité, leurs effets, et en comprendre les mécanismes psychotraumatiques sera indispensable pour pouvoir agir efficacement.
Le rapport de l'OMS de 2013 préconise des programmes de prévention favorisant des réformes sociales, notamment « la remise en cause les normes sociales qui appuient le contrôle et l'autorité exercés par les hommes sur les femmes et qui cautionnent ou tolèrent la violence à l'encontre des femmes ». Le rapport demande aussi d'intégrer ces questions dans la formation des personnels médicaux au dépistage systématique des victimes de violences et à leur prise en charge.
En France il existe un arsenal juridique important qui en prend en compte les violences faites aux femmes, arsenal encore à parfaire mais qui pourrait s’il était réellement appliqué être déjà efficace. De plus en plus d’efforts sont faits pour lutter contre ces violences et il semblerait qu’enfin une prise en compte de ce grave problème de santé publique soit en train d’émerger : nous avons à nouveau un ministère des Droits des femmes depuis 2012, un haut conseil à l’égalité femmes hommes, un observatoire national des violences faites aux femmes, la MIPROF (mission inter-ministérielle de lutte contre les violences faites aux femmes et de lutte contre la traite des êtres humains) qui a mis en place un groupe de travail sur la formation des professionnels de santé, un quatrième plan interministériel triennal de lutte contre les violences faites aux femmes(17) et de nouvelles loi qui améliorent la protection des victimes de violences ; le projet d’une loi cadre sur les droits des femmes(18) avec un volet pour améliorer la protection des femmes victimes de violences a été adopté par le Sénat en première lecture le 17 septembre 2013, une loi de renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel(19) adoptée par l’assemblée nationale le 4 décembre 2013, et un projet de loi pour la ratification de la convention d’Istanbul a été présenté à l’Assemblée nationale le 15 mai 2013. En 2013 des colloques ont été organisés par le ministère des Droits des femmes et la MIPROF sur les soins des victimes, la prise en charge des auteurs et la formation des professionnels de la santé, la ministre des Droits des femmes et porte parole du Gouvernement, Mme Najat Valaud-Belkacem s’est prononcée le 3 septembre 2013 sur la nécessité que les femmes victimes de violences puissent recevoir des soins rapides sans frais par des professionnels formés : « Ces soins sont de plus en plus pertinents, de mieux en mieux adaptés. Il s’agit de les diffuser, pour qu’ils soient de plus en plus connus. La psycho-traumatologie apporte désormais des réponses solides. Il faut veiller à ce que l’offre de soin soit à la hauteur des besoins. L’objectif est simple : faire en sorte qu’une victime de violences puisse s’inscrire, rapidement et sans frais, dans un protocole de soins établi selon les règles de l’art. » (20)
État des lieux des violences faites aux femmes
Les violences faites aux femmes et aux filles englobent la violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, au sein des relations intimes avec des partenaires, au sein des institutions, du travail, dans le cadre du soin, des études, du sport et dans les espaces publics. Cet ensemble comporte aussi les mariages précoces, les mariages forcés, les violences liées à la dot, les crimes d'honneur, les mutilations sexuelles féminines et les autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme. Il faut y ajouter la violence liée à la traite et à l'exploitation des êtres humains, au proxénétisme et à la prostitution. En font également partie la violence perpétrée ou tolérée par l'Etat, et les crimes commis contre les femmes durant les conflits armés.
Les violences permettent à leurs auteurs d'alimenter maints stéréotypes qui confortent toutes les formes de domination, des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres, des puissants sur les faibles, stéréotypes qui, sans ces violences, auraient dû disparaître.
Connaître la réalité des violences faites aux femmes et aux filles, les chiffrer est essentiel pour mieux lutter contre celles-ci, L’ONU recommande aux états de faire des enquêtes nationales. En France, après l’enquête nationale ENVEFF en 2000 qui avait permis de mieux prendre en compte l’ampleur des violences faites aux femmes et de mettre en place des plan de lutte contre celles-ci, l’Institut national d’études démographiques (INED) prépare une nouvelle enquête nationale sur les violences, qui vise à actualiser et approfondir la connaissance statistique des violences faites aux femme Intitulée **Violences et rapports de genre (VIRAGE) : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes, elle sera conduite à l’horizon 2016. Le projet d’enquête prévoit d’interroger un échantillon de 35 000 répondant-e-s (17 500 femmes et 17 500 hommes), âgés de 20 à 69 ans. Cette enquête «vise également à combler l’absence de connaissance sur certains sujets, comme les violences au travail ou la situation des enfants dans le cadre de violences conjugales et une attention particulière sera portée à l’étude des trajectoires des victimes. Quels est l’impact des violences sur les parcours scolaires, professionnels, résidentiels, affectifs et sexuels (…). Concernant les violences sexuelles, cette enquête permettra aussi de mieux connaître les violences infligées aux mineurs et en particulier les situations d’inceste.» (cf la lette n°8 de l’observatoire national des violences faites aux femmes).
1) Les violences conjugales et les violences intra-familiales
La violence conjugale est la forme la plus courante des violences subies par les femmes dans le monde. Des études démographiques ont été conduites dans 71 pays pour recueillir des informations sur l’ampleur et la prévalence de la violence conjugale. Il ressort de l’Étude multi-pays citée par l’OMS sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes que la prévalence de la violence physique commise par un partenaire intime durant la vie d’une femme oscille entre 13 % et 61 % (13). La prévalence varie entre 23 % et 49 % pour la majorité des lieux étudiés (14). Plus les inégalités sont grandes entre les hommes et les femmes plus la prévalence des violences conjugale est élevée. La prévalence de la violence sexuelle commise par un partenaire intime au cours de la vie d’une femme oscille entre 6 % et 59 %. Plusieurs études conduites dans différents pays en développement indiquent que la violence durant la grossesse oscille entre 4 % et 32 %, et que la prévalence de la violence physique durant la grossesse, de sa forme modérée à sa forme extrême est d’environ 13 % (15). Ces violences qui s’exercent sur une femme en période de vulnérabilité vont avoir de graves conséquences sur la santé physique et psychique de la mère, sur celle de l’enfant à venir et sur l’intégrité du lien mère-enfant après la naissance et ce d’autant plus, que dans la presque totalité des cas (90 %), les violences continuent dans les mois qui suivent la naissance7
Tous les chiffres figurent dans la lettre n°8 de l’observatoire national des violences faites aux femmes
En France les chiffres sont impressionnants avec en 2014, 118 femmes, ainsi que 25 hommes, qui sont décédées sous les coups de leur conjoint, soit une femme tous les deux jours et demi. On compte également 16 femmes et 6 hommes tués par leur partenaire non-officiels (amants, petits-amis, relations épisodiques…). De plus 35 enfants mineur-e-s ont été tués dans le cadre de violences au sein du couple.
L'enquête ENVEFF (3) (enquête nationale sur les violences faites aux femmes) a été faite en 2000, sur un échantillon de 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans, résidant en France métropolitaine montre que 10% de femmes ayant subi des violences conjugales dans l’année qui précède. L'enquête sur les comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles (CSVF) de Seine-Saint-Denis en 2007 confirme que les femmes les plus jeunes (18-21 ans) subissent plus de violences, elles sont 25% a avoir subi des violences conjugales (5).
En moyenne, chaque année, on estime que 223 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences conjugales dans ses formes les plus graves (violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint). Parmi elles, 14% ont déposé plainte. Les victimes estiment à 68% que ces violences ont eu des répercussions plutôt ou très importantes sur leur santé psychologique et, à 54%, qu’elles ont entraîné des perturbations dans leur vie quotidienne.
Dans le cadre de ces violences conjugales en cas de violences conjugales, les enfants sont témoins directs des violences dans 40 à 60% des cas. Pour ces enfants témoins, 2/3 sont eux-mêmes victimes directes de violences familiales, et risquent d'être tués lors d'une séparation. Dans le cadre des appels au 119 : 80% des enfants victimes de mauvais traitements ont été témoins de violences conjugales ; pour les parents, les enfants ont été perçu comme cause des violences conjugales dans 19 % des cas ; les violences conjugales augmentent le risque de mauvais traitement aux enfants (6 à 15 fois plus de risque) 18).
Lors de violences conjugales les enfants vont grandir dans un climat de grande insécurité et de terreur et vont être témoins ou victimes directes de ces violences. La majorité (près de 60 %) de ces enfants, s'ils ne sont pas efficacement protégés et pris en charge, développeront des conséquences psychotraumatiques graves et durables sur leur santé physique et psychique avec une grave souffrance mentale, des retentissements sur leur développement psycho-moteur, leur scolarisation, leur socialisation et leur vie affective à long terme, et auront un risque d'être à nouveau victime de violences tout au long de leur vie, et un risque également important de présenter des conduites agressives, des conduites à risque, des conduites délinquantes et des troubles psychiatriques à l'âge adulte (Rossman-2001), 40 à 60 % d'hommes violents avec leur partenaires ont été témoin de violences conjugales dans l’enfance.
Dans la famille les jeunes filles ont été particulièrement victimes de violences au cours de l’enfance et de l’adolescence. Dans l’enquête CVS, 23% des enquêtées ont subi des violences physiques (coups violents, tabassage, menace armée, tentative de meurtre) au cours de leur vie. Dans la plupart des cas, ces violences ont été exercées par des adultes et le plus souvent dans le cadre de la famille. En effet, près des deux tiers des coups et autres brutalités ont été infligés par un membre de la famille ou un proche (père/beau-père ; mère/belle-mère ; famille et proches), tandis que les tentatives de meurtre sont essentiellement perpétrées à part égale par un membre de la famille ou par un inconnu.14% des enquêtées ont subi des agressions sexuelles (attouchements du sexe,tentative de viol, viol) au cours de leur vie. C’est majoritairement dans le cadre de la famille que sont commises ces agressions sexuelles et celles-ci sont principalement perpétrées par des proches. Les trois quarts des viols ont été commis par un membre de la famille, un proche ou leur petit ami. Rappelons que les enfants handicapés subissent quatre fois plus de violence, les filles étant les plus touchées par ces violences.
2) Les violences sexuelles
Les violences sexistes les plus spécifiques faites aux femmes et aux filles sont les violences sexuelles. Les violences sexuelles n'ont rien à voir avec un désir sexuel ni avec des pulsions sexuelles, ce sont des armes très efficaces pour détruire et dégrader l'autre, le soumettre et le réduire à l'état d'objet et d'esclave. Il s'agit avant tout de dominer et d'exercer sa toute puissance. Les violences sexuelles sont fréquentes, suivant les études et les pays elles toucheraient entre 20 et 30 % des personnes au cours de leur vie. Une étude canadienne ancienne a montré que 40% des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. De 39 à 68 % des femmes présentant une déficience intellectuelle seront victimes d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.
**En France 20,4% des femmes ont subi des violences sexuelles dans leur vie **(pour 6,8% d’hommes), 16% des femmes qui ont subi des viols et des tentatives de viols dans leur vie dont 6,8% de viols (5% d’hommes dont 1,6% de viols), et 59% ont subi ces viols et tentatives de viols en tant que mineures (67% pour les hommes). Chaque année les femmes subissent 83 000 viols ou tentatives de viol (enquête CVS 2010-2012) dont 26 000 au sein du couple, (30%), si l’on rajoute les filles de moins de 18ans il faut plus que doubler le chiffre de 83 000 puisque 59% les ont subi en tant que mineures : on obtiendrait alors pour les mineures près de 120 000 viols et tentatives de viols par an soit comme chiffre global : 203 000. Dans 80% des cas l’agresseur est connu de la victime et seules 10% des victimes portent plainte (moins de 2% en cas de viols conjugaux et intra-familiaux) ; 29% des victimes vont consulter un psychiatre et un psychologue, 13% a rencontré des membres d’une association d’aide aux victimes et 11% a parlé de sa situation aux services sociaux, 9% ont appelé un numéro vert d’aide aux victimes. Pour les chiffres vous pouvez consulter la [lettre n°1] de l’observatoire national des violences faites aux femmes de novembre 2013, et aussi la plus récente lettre n°8
Les femmes jeunes et les filles sont en plus grand danger de subir des violences sexuelles, de nombreuses les études montrent que près de 50% des violences sexuelles sont commises sur des filles de moins de 16 ans, 60% sur des mineures de 18 ans, cf le rapport de notre enquête, publié en 1015. La première expérience sexuelle est forcée pour 3 à 24% des femmes suivant les pays (en France 8,7%), et le pourcentage est encore plus élevé parmi les filles de moins de 15 ans (23). De même les femmes et les filles handicapées subissent 3 à 4 fois plus de violences : Une étude canadienne a montré que 40% des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. De 39 à 68 % des femmes présentant une déficience intellectuelle seront victimes d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.
Le déni et la loi du silence règnent particulièrement à l'intérieur des familles, du couple des institutions et des entreprises : c'est à la victime de ne pas faire de vagues, de ne pas « détruire » la famille, le couple, d'être loyale, compréhensive, d'être gentille, et puis ce n'est pas si grave, il y a bien pire ailleurs !
Les violences sexuelles sur le lieu de travail sont une menace sur l’emploi et la carrière, lesquels sont compromis pour plusieurs raisons : refus d’embauche, détérioration des conditions de travail, notation bloquée, mutation, refus de promotion, "mise au placard", déqualification, licenciement etc. Parmi les victimes reçues à l’AVFT, 95 % d’entre elles ont perdu leur emploi, par licenciement ou démission. Toutes ces violences sexuelles sont le prototype du « crime parfait ». Dans l'immense majorité des cas, les agresseurs restent impunis, quels que soient les pays. En France seulement 10% des viols (12 000 sur 120 000) font l'objet d'une plainte, 3% font l'objet d'un jugement et 1% d'une condamnation (1 200 sur 120 000).
**La victime de viol est trop souvent considérée comme coupable. Coupable de mensonges par méchanceté, vengeance ou vénalité, ou pour se rendre intéressante, ou parce qu'elle n'assume pas un acte sexuel… Et même si le viol est avéré, elle est encore considérée comme coupable : de s'être exposée, d'avoir provoqué, d'être celle par qui le scandale arrive, d'être celle qui détruit tout, qui n'est pas capable de se relever, ni de pardonner, d'oublier, d'aller mieux, de passer à autre chose… Qu'elle soit reconnue ou non comme victime de viol, pour ses détracteurs elle a tout faux, elle est de toute façon porteuse d'une faute morale.
Pourquoi les plaintes pour viol aboutissent-elles à si peu de procès et de condamnations ? Par manque de preuves nous dit-on, ce ne serait que parole contre parole si l'accusé nie ! Sauf en cas de meurtre les preuves ADN, les traces de violences ne seraient pas suffisantes pour prouver le non-consentement. La violence en matière d'agressions dites "sexuelles" peut être présumée justifiée et donc non condamnable, la victime étant alors présumée masochiste. La recherche de faisceaux d'indices graves et concordants, est rarement faite avec soin. Les conséquences psychotraumatiques considérées par la communauté scientifique médicale internationale comme pathognomoniques c'est à dire comme une preuve médicale de l'existence d'un traumatisme, telles la sidération (ne pas pouvoir crier, ni se défendre), le choc émotionnel, la dissociation péri-traumatique (la confusion, les doutes, le sentiment d'étrangeté, la désorientation temporo-spatiale, les troubles de la mémoire : l'amnésie de certains faits), l'instabilité émotionnelle du fait de la mémoire traumatique, non seulement ne sont pas prises en considération comme éléments de preuve, mais sont au contraire utilisées comme des éléments discréditant la crédibilité de la victime (cf mon article Conséquences des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes neurobiologiques sur la prise en charge médicale.
Les circonstances considérées par la loi comme des circonstances aggravantes sont aussi le plus souvent retournées contre la victime comme mettant en cause sa crédibilité : le fait d'être un enfant, que l'agresseur soit un conjoint ou un partenaire, d'être alcoolisée ou droguée, d'être handicapée mentale (d'avoir des troubles psychiatriques). Les événements du passé de la victime qui n'ont rien à voir avec le viol sont aussi utilisés pour mettre en doute sa crédibilité : le fait d'avoir menti sur son passé, d'avoir eu une vie sexuelle considérée comme "débridée", d'être toxicomane ou alcoolique, d'avoir eu des troubles psychiatriques, d'avoir été ou d'être en situation prostitutionnelle, d'avoir commis des délits …
Par contamination pornographique, une femme, une adolescente est a priori considérée comme consentante à un acte sexuel : même si celui-ci a lieu avec un inconnu, en quelques minutes, sans préservatif, même si celui-ci a lieu avec plusieurs personnes, ou avec une personne ayant autorité, même si celui-ci a lieu dans un cadre qui se doit d'être protecteur comme la famille, l'école, le milieu sportif, les institutions religieuses, des lieux de soins, le travail…, même s'il est accompagné de violences, d'actes dégradants, humiliants, d'injures, même s'il a lieu dans un contexte de dépendance et de contraintes économiques fortes, même s'il a lieu dans un contexte d'altération du jugement ou de vulnérabilité de la victime : alcool, drogue, médicaments psychotropes, handicap mental, situation d'exclusion… (cf l’article de Sokhna Fall en 2010 : l’éternel détournement de Dolores Haze.
Le viol bénéficie d'un traitement de faveur, d'un statut à part où les crimes n'en sont pas au prétexte que ces actes seraient dits consentants sans référence aux droits universels des êtres humains à l'intégrité et à la dignité (comme si être consentant pour être tué ou être torturé pourraient justifier ces crimes), où des dominants pourraient avoir le privilège de réduire en esclavage, de séquestrer, d'exercer des sévices, d'injurier, d'humilier sous couvert de désir sexuel, de jeux, voire même d'amour, et pire encore pour le bien celles ou ceux qui en sont victimes puisque ces violences sont censés les faire jouir par masochisme, érotisation de la subordination et de la douleur, la pornographie est là pour en faire la preuve (cf l'article d'Annie Ferrand en 2011 : Quand une femme est agressée, le doute n'est pas permis ).
Certes il est facile de comprendre qu'un accusé ait tout intérêt à nier son crime et à mettre en cause la victime, et qu'il puisse bénéficier de la présomption d'innocence (mais il faudrait en miroir que la victime puisse bénéficier de la présomption de crédibilité). Qu'en est-il de tout ceux qui vont accuser la victime, qui vont banaliser le viol, nier les violences, nier leurs conséquences, s'en prendre au statut de victime en le dénigrant ? Pourquoi le font-ils, alors que pour le sens commun il est évident qu'un viol c'est grave et qu'une victime de viol sera traumatisée ? Pourquoi faudrait-il encore et encore s'escrimer à leur donner des explications, à justifier la parole et les comportements des victimes ? Il est intéressant de braquer les projecteurs sur eux et non plus sur la victime ! La lâcheté peut-être une première réponse, pour tout ceux et celles qui sont en conflit flagrant d'intérêt et de "loyauté" avec l'agresseur et qui cherchent à préserver leurs avantages (financier, protection, travail,…). La collaboration et complicité sexiste est une deuxième explication, révélant une adhésion aux stéréotypes issue d'une vision pornographique de la femme et de la sexualité. Ses conséquences sur la sécurité des femmes, victimes réelles et potentielles sont catastrophiques. La position d'agresseur, autre raison rarement évoquée, tant la réalité de la violence masculine est rarement évoquée (Patrizia Romito, 2006) : parmi la masse d'anonymes qui vont accuser la victime, il y a une belle proportion d'agresseurs - c'est une certitude statistique - qui ont un intérêt direct à maquiller, brouiller les cartes et à se disculper de leurs crimes, pour assurer leur impunité, que ce soient des hommes ou certaines femmes - à laquelle on ne pense pas assez. Ces redresseurs de torts savent bien à quel point ils mentent et à quel point leur rhétorique est indécente ! Leurs argument de modernité néolibérale, de libération sexuelle, ne sont que les alibis de zélés collaborateurs et de criminels. Leurs aboiements font taire toutes les victimes et intimident tout ceux et celles qui voudraient les protéger et les soutenir. Il serait temps qu'ils aient un peu plus peur qu'un regard de réprobation et de suspicion pèse sur eux dès qu'ils prennent la parole.
Le harcèlement sexuel se produit sur les lieux de travail, à l'école, dans la rue et les espaces publics. Dans les pays de l'Union européenne 40 à 50% des femmes subissent des avances sexuelles non désirées ou des agressions sexuelles. Cette situation explique que la majorité des femmes ont peur de marcher seules dans la rue la nuit (c'est le cas pour près de 60% des femmes interrogées à Montréal au Canada, alors que seuls 17% des hommes interrogés ont peur) (25)).
Les violences faites aux femmes lors de conflits armés font partie de stratégies de guerre, particulièrement les violences sexuelles avec l'utilisation fréquente du viol comme arme de guerre, de terreur et de répression, accompagnés parfois de grossesses forcées. Les viols sont reconnus comme crimes de guerre et ils ont été reconnus par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPR) comme crimes contre l'humanité. Lors de la guerre en Bosnie 20 000 à 50 000 femmes auraient été violées entre 1992 et 1995, et ce qui est moins connu et qui n’a pas encore été reconnu au Kosovo des milliers de femmes ont été violées systématiquement également. Lors du génocide rwandais 250 000 à 500 000 femmes auraient été violées.
Dans l'est de la République Démocratique du Congo, au moins 500 000 victimes de viols ont été enregistrés depuis 1996 : Des femmes, des petites filles et même des bébés qui ont subi des actes de barbarie inouïs pour terroriser la population., le Dr Denis Mukwege en 2013, directeur de l'hôpital de Panzi, à Bukavu, qui soigne ces femmes et ses enfants nous le dit : « Rien à voir avec des agissements individuels, ou un fait culturel congolais ! Les viols sont planifiés, organisés, mis en scène. Ils correspondent à une stratégie visant à traumatiser les familles et détruire les communautés, provoquer l'exode des populations vers les villes et permettre à d'autres de s'approprier les ressources naturelles du pays. C'est une arme de guerre. Formidablement efficace. »
Jusqu'à 60% de la population féminine aurait, selon certaines estimations, été victime de violences sexuelles au Libéria lors de la guerre civile entre 1989 et 2003. Au Sierra Leone, pays voisin également touché par la guerre civile de 1991 à 2002, entre 5.000 et 10.000 femmes et enfants auraient été violés par les factions en présence selon des ONG de défense des victimes, qui estiment que le problème a perduré depuis, avec 250 cas répertoriés en 2012 et 290 depuis le début de 2013. À Conakry en Guinée, lors du massacre du 28 septembre 2009 qui a fait plus de 157 morts, selon l’ONU 109 femmes ont été violées en public par les forces de sécurité gouvernementales.
De très nombreux viols ont été commis et utilisés comme armes de guerre lors des révolutions libyenne et égyptienne, et de la guerre civile en Syrie.
Fait remarquable à souligner le gouvernement libyen sous la pression courageuse des femmes victimes de viol a élaboré un projet de loi pour reconnaître les femmes violées pendant la révolution comme victimes de guerre, les protéger et leur donner des réparations qui pourrait se révéter être une première mondiale : Le texte – qui concerne également les femmes contraintes de « satisfaire les désirs de Mouammar Kadhafi et de ses fils durant la sinistre période de son règne » – prévoit de leur attribuer une pension mensuelle, des soins médicaux, des offres d'études en Libye ou à l'étranger, une priorité pour des emplois publics, l'obtention de prêts immobiliers ou d'achat de véhicule, une assistance dans les poursuites judiciaires contre leurs agresseurs. Des dispositions sont aussi prises pour protéger les enfants issus des viols – il y en a beaucoup, malgré des avortements autorisés exceptionnellement, le temps de la guerre, par une fatwa du grand mufti – et faciliter leur adoption. (cité en novembre 2013 dans le journal Le Monde).
L'ONU a lancé une action contre les violences sexuelles faites aux femmes dans le cadre de conflits.
Les mutilations sexuelles féminines : on estime entre 100 et 140 millions le nombre de filles et de femmes aujourd’hui vivantes ayant subi une mutilation sexuelle, principalement en Afrique et dans certains pays du Moyen-Orient. Et on estime à trois millions le nombre de celles qui courent chaque année le risque de subir une mutilation (26). Près de 5% des victimes de mutilations sexuelles féminines vivent dans les pays du Nord, ce qui représente plus de 6,5 millions de femmes et de filles (27). La France comptait en 2004, environ 53 000 femmes adultes qui auraient subi des mutilations sexuelles dont neuf victimes sur dix ont été excisées avant l’âge de 10 ans.
3) Les mariages forcés
Dans le monde plus de 14 millions de mineures sont mariées de force chaque année, une jeune fille sur trois avant 18 ans, une sur neuf avant 15 ans . Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) a estimé à 5 000 le nombre de femmes victimes de « crimes d’honneur » chaque année dans le monde.
4) Les femmes manquantes
Dans le monde, d’après les démographes plus de 160 millions de femmes seraient manquantes. Des femmes que l’on n’a pas laissées vivre ou que l’on n’a pas laissées naître, conséquence dramatique de plusieurs siècles d’abandon et infanticide des filles liés à la préférence traditionnelle pour les fils, et surtout plus récemment à l’échographie qui a favorisé des millions d’avortements sélectifs... La prise de conscience mondiale remonte à 1990 lorsque le prix Nobel indien, l’économiste Amartya Sen, publia un article au titre choc : « Plus de 100 millions de femmes sont portées manquantes », cf le rapport européen.
En Inde et au Vietnam, le chiffre est d’environ 112 garçons pour 100 filles. En Chine avec la politique de l’enfant unique et la préférence pour les garçon, la proportion passe quasiment de 120 pour 100, quand elle n’est pas de 130 garçons pour 100 filles dans certaines régions (la Chine a enfin annoncé en novembre 2013 qu’elle allait assouplir sa politique de contrôle des naissances, dite de l'enfant unique, lancée en 1979 : les couples dont au moins l'un des membres est lui-même enfant unique seront autorisés à avoir deux enfants). Et la tendance se propage : en Azerbaïdjan, en Géorgie, en Arménie, les ratios à la naissance sont tous de l’ordre de plus de 115 garçons pour 100 filles. En Serbie et en Bosnie, on constate le même phénomène.
5) La prostitution, la traite à des fins d’exploitation sexuelle, de travail forcé, d’esclavage, de prélèvements d’organes, de grossesse pour autrui.
La prostitution, la traite des êtres humains et le tourisme sexuel sont en augmentation. Chaque année, environ 2,5 millions de victimes, principalement des femmes et des enfants, sont recrutées et exploitées à travers le monde. Les types d’exploitation dans le cadre de la traite des êtres humains sont multiples : exploitation sexuelle, travail forcé, esclavage domestique, mendicité forcée… Selon l’Organisation des Nations unies (ONU) et le Conseil de l’Europe, la traite des êtres humains serait la troisième forme de trafic la plus répandue dans le monde après le trafic de drogue et le trafic d’armes. Elle ne générerait pas moins de 32 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Différents outils juridiques et politiques internationaux, européens et nationaux ont été mis en place pour lutter contre la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants.
Le protocole additionnel de la convention des Nations Unies dite « de Palerme » de 2000, « visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants », est le seul instrument juridique contraignant universel de lutte contre la traite des êtres humains. C’est la première convention internationale qui prévoit une définition large des différentes formes que recouvre la traite des êtres humains. Elle est centrée sur la prévention, la protection des victimes, mais également sur l’importance de la coopération internationale en matière de poursuite et de répression. La France l’a ratifiée en 2002.
La Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains [STCE n° 197] dite Convention de Varsovie du 16 mai 2005 est entrée en vigueur le 1er février 2008. C’est le premier traité européen dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains, cette Convention est un instrument global axé essentiellement sur la protection des victimes de la traite et la sauvegarde de leurs droits. Elle vise également la prévention de la traite ainsi que la poursuite des trafiquants. En outre, la Convention prévoit la mise en place d’un mécanisme de suivi efficace et indépendant apte à contrôler la mise en œuvre des obligations qu’elle contient. Le Conseil de l’Europe s’est doté d’un organe conventionnel, le GRETA, qui a pour mission de veiller à la bonne application de cet instrument juridique.
La convention de Varsovie définit la « traite des personnes » comme le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes; Il est précisé dans la convention de Varsovie que « Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, [...] est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés dans cet alinéa a été utilisé », ce qui signifie que la traite est totalement interdite, même avec le consentement des victimes et ce pour les protéger des pressions. De plus, « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés (à eux seuls) comme une “traite des personnes” même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés ». Des textes additionnels y ont adjoint le commerce des enfants, pour tenir compte des trafics d'adoption.
En France la Mission Interministérielle de lutte contre les violences faites aux femmes et de lutte contre la traite des êtres humains, MIPROF, créée en janvier 2013, est chargée de préparer un plan d’action triennal, précédé de consultations approfondies des associations qui travaillent avec les victimes de la traite.
L’exploitation des femmes et des filles est étroitement liée à la prostitution ainsi qu’aux formes cachées de l’exploitation que sont l’esclavage domestique, les mariages par correspondance et le tourisme sexuel. 78 % des femmes victimes de la traite sont, d’une manière ou d’une autre, exploitées à des fins sexuelles. Les femmes et les filles représentent 80% du chiffre estimé de 800 000 personnes victimes de trafic trans-frontalier chaque année (30), la majorité d'entre elles à des fins d'exploitation sexuelle ou de servitude domestique. Il faut rajouter la violence et la marchandisation des corps que représente le trafic d’enfants en vue d’adoption lors de d’abandon d’enfants souvent fait sous pression lors de grossesses dans des contextes de grande précarité et de violences ou de grossesse consécutives à des viols, et avec un manque total de soutien, d’enfants volés, ou de gestation pour autrui (GPA) rémunérées comme en Inde, mais également en Ukraine et dans certains états des Etats-Unis ou compensée financièrement qui instrumentalise et exploite le corps des femmes les plus pauvres et les plus précarisées à des fins de procréation. En France la GPA, est totalement interdite. La prostitution même en dehors des situation de traite, de proxénétisme et de prostitution des mineurs est considérée comme une violence faites aux femmes et une violation de la dignité humaine et de l'égalité entre les sexes par le parlement européen (résolution du 6 février 2013). La France qui est un pays abolitionniste et qui avait réaffimé cette position en 2012 vient d’adopter une loi pour renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, en avril 2016. Ce texte renverse la charge pénale de la personne prostituée sur ceux qui exploitent sa situation de vulnérabilité en abrogeant le délit de racolage et en sanctionnant le recours à la prostitution. Il vise aussi une amélioration de l’accompagnement, de la protection et de l’accès aux soins des personnes prostituées – la prostitution étant envisagée comme une activité à haut risque pour la santé physique et mentale pour de nombreux rapports (voir le rapport de l’IGAS sur la prostitution et la tribune de médecins publiée dans le monde le 12/11/2013 – et leur réinsertion avec la mise en place d’un « parcours de sortie de la prostitution », la création d’un fonds pour la prévention et l’accompagnement social et professionnel, et de nombreuses dispositions en matière de logement, de revenu de substitution, d’obtention de titres de séjour renouvelables, et de mesures destinées à assurer leur protection. Et il ne faut pas oublier que la majorité des situations prostitutionnelles débutent avant 18 ans (en moyenne entre 13 et 14 ans). Le système prostitutionnel exploite avant tout la grande vulnérabilité de jeunes femmes isolées, sans ressource et gravement traumatisées qui sont repérés par des réseaux et des proxénètes, ou qui font le choix désespéré d’entrer en situation prostitutionnelle comme solution de secours et stratégie de survie pour se procurer de l’argent, et pour se déconnecter de leur souffrance. Les jeunes qui ont subi des violences dans l’enfance et plus particulièrement des violences sexuelles incestueuses ont des facteurs de risque qui peuvent précipiter leur entrée en situation prostitutionnelle.
En Europe une étude montre que 60% des femmes victimes de trafic avaient subi des violences physiques et/ou sexuelles avant la traite. De même la majorité des personnes prostituées ont subi depuis la petite enfance des violences 59% de maltraitances physiques, et de 55% à 90% d’agressions sexuelles, 63% avec en moyenne avec 4 auteurs de violences pour chaque enfant dans l'étude de Melissa Farley publiée en 2003, faite dans 9 pays sur 854 personnes prostituées. Les femmes et les filles prostituées subissent des violences graves, fréquentes et répétées. Melissa Farley rapporte que 71% d'entre elles ont subis des violences physiques avec dommages corporels (commis par les clients et les proxénètes), 63% ont subi des viols, 64% ont été menacées avec des armes, 75% ont été en situation de sans-domicile-fixe (SDF) pendant leur parcours.
6) Les femmes sans toit
Les femmes qui vivent dans dans les zones urbaines pauvres, qui sont sans chez-soi, risquent bien plus que les hommes de subir des violences physiques, psychologiques et sexuelles. Une étude de Médecins du Monde faite en 2009 à Marseille a montré qu'une femme sans abri a un risque très élevé d'être maltraitée et violée. Elles ont une espérance de vie en moyenne de 41 ans bien moindre que celle des hommes sans abri, qui est de 56 ans.
7) Les femmes ayant un handicap fonctionnel, intellectuel ou mental, les personnes âgées dépendantes ou démentes.
Environ 15% des habitants de la planète vivent avec une certaine forme de handicap, dont 2 à 4% avec de grandes difficultés de fonctionnement. Et le handicap touche de manière disproportionnée les populations vulnérables. Les résultats de l’enquête sur la santé dans le monde indiquent une plus forte préva- lence dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu élevé. La prévalence est également plus forte dans le quintile le plus pauvre des populations, chez les femmes et chez les personnes âgées (37). Les femmes et les filles handicapées courent bien plus de risque de subir des violences. Ces violences sont le plus souvent commises par des hommes que les femmes connaissent, c’est-à-dire les hommes de leur famille (par exemple, le père, le frère, le conjoint, l’ami) et des hommes (rémunérés ou non) qui leur prodiguent des soins ou fournissent des services (y compris des chauffeurs). En France dans 30% des cas, les violences ont lieu en institution, contre 70% pour le milieu familial d’après la « commission sénatoriale d'enquête (38)- présidée par Paul Blanc, constituée en décembre 2002, à l'initiative du sénateur Henri de Raincourt - sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux ». Une étude canadienne (McLeod, 1992) a montré que 40 % des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie. De 39 à 68 % des femmes présentant une déficience intellectuelle seront victimes d’au moins une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.
Selon une étude publiée dans The Lancet, en 2012 les enfants handicapés subissent quatre fois plus de violence. Et les plus vulnérables sont ceux présentant un handicap mental ou des déficiences intellectuelles. Ce travail apporte aujourd’hui, les preuves les plus solides jamais présentées en matière de violence aux petits handicapés. Le Pr Park Bellis, de l’Université John Moores à Liverpool (Royaume-Uni), a pris en compte pas moins de 17 études, qui portaient sur 18 374 enfants handicapés. Des données relatives à 7 pays différents ont été intégrées à ce travail : Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Israël, Royaume-Uni et Suède. Les conclusions sont univoques. Elles indiquent que les enfants handicapés ont un risque 3,7 fois plus élevé d’être victimes d’actes de violence, de quelque sorte que ce soit. Pire, ceux souffrant d’un handicap mental sont 4,6 fois plus exposés que les autres.
Elles cumulent de nombreux facteurs de risque en raison de leur vulnérabilité, de leur manque d’autonomie, de leur dépendance physique et matérielle, de stéréotypes sociaux discriminants et stigmatisants qui leur imposent un statut d’infériorité, les infantilisent, les déshumanisent et les isolent socialement. Les obstacles à l’accessibilité que ce soit chez elles, en institution,pour accéder aux soins de santé, à la réhabilitation, à l’instruction; à l’emploi et aux services d’appui ou dans les espaces publics et administratifs aggravent le handicap et rendent les femmes encore plus vulnérables (manque de rampe, d’accès, langage des signes, braille,…). Les femmes ayant des incapacités rapportent plus d’incidents avec plus d’agresseurs et sur une durée plus longue que les femmes non handicapées6. Les femmes handicapées mentales et atteintes de démences subissent des violences à un taux quatre fois supérieur aux personnes ne présentant pas ces types de handicaps. Et plus une femme a un nombre élevé d’incapacités, plus sa vulnérabilité augmente.
Les violences peuvent être sexistes intra-familiales, conjugales et institutonnelles. Certaines violences sont des maltraitances spécifiques des handicaps : comme priver la femme handicapée fonctionnelle ou sensorielle de ses appareils (fauteuil roulant, prothèses, appareils auditifs,…), systématiquement ne rien lui faciliter et ne pas prendre en compte ses difficultés, ne pas soulager ses douleurs en ne lui donnant pas d’antalgiques, ne pas lui donner à manger ou de façon inadaptée, ne pas lui prodiguer des soins d’hygiène ou le faire là aussi de façon inadaptée, brusque en ne respectant pas sa pudeur, retarder un besoin d’uriner ou de déféquer et ne pas changer son lit ou ses vêtements souillés, la laisser attacher pendant de nombreuses heures, la laisser seule sans aucune autonomie, etc.
Les violences subies par les femmes en situation de handicap prennent plusieurs formes telles que la violation de leur intimité, les mesures de contention et d’isolement, les fouilles à nu, les agressions sexuelles et les viols par des proches, des membres du personnel aidant ou soignant ou d’un patient/résident d’une institution, elles peuvent subir également des mariages forcés, des avortements forcés et une contraception ou une stérilisation forcée. La perte d’autonomie, les soins médicaux, les soins fonctionnels et les soins d’hygiène répétés sont autant de situations à risque de survenue d’une maltraitance.
Alors qu’il s’agit de circonstances aggravantes et que les faits de violences en France peuvent être signalés auprès du procureur de la République de la police les violences que les femmes en situation de handicap subissent sont très peu dénoncées. Les femmes en situation de handicap ne vont pas parler car elles pensent qu’elles ne seront pas crues, ni perçues comme étant crédibles pour la police ou la justice. Elles peuvent aussi ne pas connaître leurs droits, ni les démarches à faire pour dénoncer les violences et être protégées. De plus elles sont souvent formatées depuis leur enfance pour être en position de soumission totale e et avoir été formatées depuis leur enfance par tous ceux qui les ont agressées pour trouver normal beaucoup de violences, pour considérer qu’elles sont un poids pour leurs proches et les aidants qui s’occupent d’elles et pour penser qu’elles ont contracté une telle dette vis à vis de toutes les personnes qui les aident qu’elles doivent être obéissantes et reconnaissantes quoi qu’il arrive et qu’elles n’ont pas le droit de se plaindre, ni de dénoncer ce qu’on leur impose. Elles ont intégré qu’elles n’ont pas le droit de s’opposer ni de se défendre, que ce serait être très ingrates avec tout ce qui a été fait pour elles, et elles pensent qu’elles courraient un risque énorme d’être rejetées et abandonnées de tous. Et se surajoutent les difficultés d’accès aux moyens de transport, aux services de police et pour certaines aux moyens de communication, la peur de perdre sa sécurité financière, son domicile et ses prestations sociales ainsi que la peur d’être institutionnalisée.
Les prédateurs sexuels recherchent des femmes vulnérables, et les femmes présentant de lourds handicaps seront plus faciles à isoler, à contraindre et à instrumentaliser, et elles seront moins en capacité de se défendre, de parler, d’être entendues et crues.
Concernant les femmes âgées, les seules données chiffrées récentes et disponibles sont fournies par HABEO (Handicap, Age, Bientraitance, Ecoute, Orientation) et ALMA (Allô Maltraitance Personnes âgées et/ou handicapées) au travers de leur plate-forme d’écoute téléphonique : 75% des appelants sont des femmes et les maltraitances dénoncées sont surtout des négligences, des traitements dégradants, des abus de confiance, des pressions financières, des violences verbales voire des actes de maltraitance physique, mais également des agressions sexuelles. Comme pour les femmes handicapées l’essentiel des cas de maltraitance a lieu au domicile de la victime.
Les conséquences psychotraumatiques des violences vont entraîner chez les victimes des troubles anxieux, des insomnies, un sentiment de danger permanent, des troubles des conduites (conduites auto ou hétéro-agressives, conduites à risque) et du comportement (social, alimentaire, sexuel), une aggravation des troubles cognitifs et souvent de la dépendance qui vont accroître encore la vulnérabilité de ces femmes et augmenter le risque de nouvelles maltraitances.
Conséquences sur la santé des violences faites aux femmes et aux filles
Les violences faites aux femmes et aux filles ont des répercussions considérables sur la société en terme de coût social, de productivité et de développement. Elles sont pour les femmes un facteur important d'analphabétisme, de marginalisation, d'exclusion et de grande pauvreté en freinant leur accès à l'éducation, à l'emploi, à la maîtrise de leur sexualité et de leur fécondité, et en empêchant leur émancipation et à leur autonomie. Et elles sont donc un facteur qui aggrave les inégalités. les coûts de la violence à l'égard des femmes et des filles (incluant les dépenses de santé, les aides sociales, les dépenses de police et de justice, l'absentéisme et les pertes de revenus et de production, etc.) sont dans la plupart des pays évalués entre un et plusieurs milliards d'euros.
1) Un facteur de risque important pour la santé des femmes et des filles Les violences physiques et sexuelles ont des conséquences directes sur l'intégrité physique des femmes et des filles, pouvant aller jusqu'à la mort ou l'infirmité. Les femmes qui subissent des violences ont beaucoup plus recours à des consultations médicales, à des soins en urgences, à des hospitalisation en médecine et en psychiatrie, et à des arrêts de travail. Les violences font partie des facteurs de risques importants pour la santé au même titre que l'hypertension artérielle, le tabagisme et l'obésité.
Les conséquences des violences sur la santé sont actuellement très bien documentées par de très nombreuses études internationales (des revues analytiques très référencées de ces études internationales ont été faites en 2010 par A. McFarlane et en juin 2011 par Michèle C. Blake. Elles sont reconnues par l’Organisation Mondiale de la Santé en 2010. De même l’étude prospective sur 18 000 personnes de Felitti et Anda en 2010 démontre qu'avoir subi des violences dans l’enfance ou en avoir été témoin est un des déterminants principaux de l'état de santé d'une personne et ce pendant les violences mais également pendant des années voir même 50 ans après après l’arrêt des violences.
2) Un facteur de risque important pour la santé des mères et des fœtus pendant la grossesse.
Les violences sont à l'origine de risques importants pour la santé de la mère et du fœtus pendant les grossesses (les violences débutent fréquemment lors de grossesse et sont dans ce cas décrites par les femmes comme plus graves ; et d'autre part les viols peuvent être à l'origine de grossesse), avec un risque d'avortements répétés, de mort fœtale, d'accouchement prématuré, d'hypertension artérielle et de diabète pour les mères. Les viols sont à l'origine de grossesses précoces chez des adolescentes, et de contamination par des maladies sexuellement transmissibles, particulièrement par le virus HIV responsable du SIDA (risque très augmenté lors de violences sexuelles). Les violences nuisent donc gravement à la santé reproductive et maternelle des femme et à la santé de leurs enfants.
Les violences pendant la grossesse qui concernent plus de 6 % des femmes enceintes sont un facteur de risque très important pour la santé de la mère, du fœtus et du nouveau-né avec de graves conséquences sur le suivi, le déroulement de la grossesse, le travail, l'accouchement et le post-partum, il est d’autant plus nécessaire de dépister ces violences le plus tôt possible. 40% des violences conjugales ont débutées pendant la grossesse, les femmes victimes enceintes étaient 4 fois plus nombreuses que les autres femmes victimes à dire qu'elles avaient subi des violences « extrêmement graves » (coups, strangulation, menaces de mort par armes, agressions sexuelles), 45% des femmes victimes de violences ont subi des blessures physiques dont 10% ont déclaré avoir souffert de lésions internes et subi une fausse-couche (enquête nationale canadienne auprès de 12300 femmes,1993). les femmes qui ont déclaré des violences pendant leur grossesse, 90% ont subi des violences dans les 3 mois suivant l'accouchement, le nombre de violences ayant augmenté après la naissance (Muhajarine,1999)
3) Des conséquences neurologiques importantes.
Au-delà des blessures directes et de leurs séquelles, de nombreuses recherches cliniques et neuro-biologiques depuis plus de 10 ans ont montré que l’impact des violences chez les victimes est non seulement psychologique, mais également neuro-biologique avec des atteintes de circuits neurologiques et des perturbations endocriniennes des réponses au stress. Ces atteintes ont été bien documentées, elles laissent des séquelles cérébrales visibles par IRM, avec une diminution de l’activité et du volume de certaines structures (par diminution du nombre de synapses), et pour d’autres une hyperactivité, ainsi qu’une altération du fonctionnement des circuits de la mémoire et des réponses émotionnelles. Récemment des altération épigénétiques ont également été mises en évidence chez des victimes de violences sexuelles dans l’enfance, avec la modification d’un gène (NR3C1) impliqué dans le contrôle des réponses au stress et de la sécrétion des hormones de stress (adrénaline, cortisol), altérations qui peuvent être transmises à la génération suivante.
Et encore plus récemment une étude menée par une équipe de chercheurs internationaux (allemand, américains et canadien) et publiée début juin 2013 dans l’American Journal of Psychiatrya mis en évidence des modifications anatomiques visibles par IRM de certaines aires corticales du cerveau de femmes adultes ayant subi dans l’enfance des violences sexuelles et des violences physiques. Fait remarquable, ces aires corticales qui ont une épaisseur significativement diminuée par rapport à celles de femmes n’ayant pas subi de violences, sont celles qui correspondent aux zones somato-sensorielles des parties du corps ayant été touchées lors des violences (zones génitales, anales, buccales, etc.). Et l’épaisseur de ces zones corticales est d’autant plus diminuée que les violences ont été plus graves (viols, plusieurs agresseurs,…). De plus cet article est accompagné d’un éditorial soulignant son importance
Ces altérations des circuits neurologiques s’accompagnent de la mise en place de troubles psychotraumatiques et d’une mémoire traumatique qui, en refaisant vivre à l’identique le stress extrême généré par les violences aussitôt qu’un lien ou une situation les rappelleront, entraîneront de nombreux troubles psychiatriques et des troubles organiques liées au stress (cardio-vasculaires, imm comme nous allons le voir.
Les violences faites aux femmes et aux filles sont particulièrement traumatisantes sur le plan psychologique et neurologique, et elles sont à l’origine de chocs psychiques et de troubles psychotraumatiques graves. Les violences subies par les femmes et les filles sont celles qui ont le plus grand potentiel traumatisant en dehors des tortures : 58 % des victimes de violences conjugales risquent de développer un état de stress-post-traumatique contre seulement 24% chez l'ensemble des victimes de traumatismes (48), et 80 % des victimes de viols risquent de développer un état de stress-post-traumatique contre seulement 24% chez l'ensemble des victimes de traumatismes (49). Cela explique que la prévalence des troubles psychotraumatiques soit plus importante chez les femmes que chez les hommes. Ces troubles psychotraumatiques sont chroniques, ils peuvent s'installer sur des années, des dizaines d'années, voire toute une vie. Ils auront alors un impact catastrophique sur la vie des victimes traumatisées si elles ne sont pas prises en charge. Ces femmes présentent alors tout au long de leur vie un état de stress post-traumatique, des troubles dissociatifs, des épisodes dépressifs à répétition, des risques suicidaires, des troubles anxieux généralisés, des troubles de la personnalité, des troubles cognitifs, des troubles du sommeil, du comportement alimentaire, et de la sexualité, des addictions à l'alcool, aux drogues, des troubles des conduites avec des mise en danger, des risques d'accidents à répétition, des maladies liées au stress, une fatigue et des douleurs chroniques. Et la plupart du temps ces troubles psychotraumatiques seront injustement stigmatisés comme des handicaps constitutionnels et seront perçus comme une infériorité justifiant a posteriori la mise sous tutelle déjà exercée et justifiant aussi de nouvelles violences, alors que ce sont des réactions normales à des situations violentes anormales.
De même 60% des enfants qui sont témoins de ces violences faites aux femmes développeront des troubles psychotraumatiques. Ils pourront présenter des troubles du comportement (10 à 17 fois plus que des enfants vivant dans un foyer sans violence) dont des comportements agressifs vis à vis des autres enfants et des conduites délinquantes. On note aussi chez ces enfants une augmentation des conduites agressives, des conduites à risque, des conduites délinquantes, du risque de troubles psychiatriques à l'âge adulte et du risque de reproduire à nouveau des violences conjugales ou d’en être victime.
Les mécanismes à l’origine des conséquences psychotraumatique sont bien connus actuellement (cf Rauch SL en 2006 et des revues détaillées en ont été faites par Dennis S. Charney en 2004 et par C.B. Nemeroff en 2006. Ce sont des mécanismes neuro-biologiques d’adaptation au stress extrême et de sauvegarde par rapport au risque vital généré par ce stress extrême.
Ces nombreuses recherches ont déjà permis de faire le lien entre les découvertes neuro-biologiques et la clinique des psychotraumatismes. La compréhension du lien fait appel à l’élaboration d’un modèle théorique (Shin, 2006 ; Yehuda, 2007, Salmona, 2008 et 2012), c’est à dire d’une explication qui permettre de mieux appréhender la réalité, le modèle ne pouvant prétendre expliquer la réalité dans sa totalité. J’ai largement participé à cette élaboration (que je présente dans Le livre noir des violences sexuelles, Dunod, 2013) qui permet de décrire les mécanismes psychiques et neuro-biologiques à l’œuvre lors des violences, et de donner une explication et une cohérence aux différents symptômes psychotraumatiques, qui sinon paraissent paradoxaux et sont difficilement compréhensibles.
4) Quelles conséquences sur la santé des femmes et des filles
Les conséquences des violences sur la santé des victimes sont donc à la fois liées :
- aux conséquences immédiates des coups et blessures qui peuvent aller jusqu’à la mort (fractures, brûlures, blessures, strangulation, hématomes, atteintes oculaires et ORL, atteintes neurologiques par traumatisme crânien, atteintes génito-urinaires) et chez les femmes enceintes de nombreuses pathologies obstétricales pouvant provoquer leur mort et/ou la mort du fœtus ou du nouveau-né (avortement, prématurité, menaces d’accouchement prématuré, décollement placentaire, rupture des membranes, hypotrophie fœtale), et lors de viols des infections sexuellement transmissibles et/ou une grossesse.
- aux conséquences immédiates du stress extrême subis lors des violences physiques, psychologiques et sexuelles : état de choc, prostration, perte de connaissance, amnésie lacunaire, dissociation péri-traumatique, états confusionnels, bouffée délirante aïgue désordres métaboliques, troubles somatiques liés au stress aïgu (neurologiques, cardio-vasculaires, gastro-entérologiques, broncho-pulmonaires, uro-génitales, dermatologiques,…)
- aux conséquences différées des mois, années, voir des dizaines d’années après la fin des violences dues aux séquelles des coups et blessures, et aux troubles psychotraumatiques qui entraînent une atteinte de l’intégrité psychique avec des conséquences sur la santé mentale avec des pathologies psychiatrique (troubles anxieux, dépressions, risques suicidaires : tentatives de suicides répétées et suicides (x 10), addictions (tabac, alcool, drogues), conduites à risques et mises en danger, troubles alimentaires (anorexie et boulimie), troubles du sommeil, troubles cognitifs et troubles de la personnalité), des conduites à risque avec un risque d’accidents multiplié par 8, des addictions et un stress chronique dû à la mémoire traumatique qui fait revivre les violences à l’identique avec le même stress émotionnel extrême, entraînent une fatigue et des douleurs chroniques (douleurs ostéo-musculaires, céphalées de tension, douleurs temporo-maxillaires, fibromyalgies), des conséquences neurologiques (migraines, neuropathies, troubles de la mémoire, dysarthries, atteintes démentielles), cardio-vasculaires (palpitations, insuffisance coronaire, infarctus du myocarde, hyper-tension artérielle, hyper-cholestérolémie, ), gastro-entérologiques (constipation, anisme, diarrhée, reflux gastro-œsophagien, ulcères, côlon irritable, colites spasmodiques,…), immunologiques ( maladies auto-immunes) et endocriniennes (syndrome métabolique, diabète), broncho-pulmonaires (asthme, bronchites chroniques, dilatation des bronches), musculo-squelettiques (inflammations, arthrite, douleurs musculaires et articulaires), dermatologiques et ORL, gynécologiques (douleurs pelviennes chroniques, dysménorrhées, inflammation pelvienne, infections vaginales, troubles de la sexualité, vaginisme, cystites à répétition,…), obésité morbide.
Tous ces troubles sont augmentés de manière significatives en cas de violences et de troubles psychotraumatiques.
`